PHILOMÉNE est arrivé à sa retraite au milieu de nos potes âgés avec la volonté de planter des pensées….
Je vous parle pas des fleurs, mais des idées, qu’elle cultive sous le cerisier quand il fait trop chaud pour biner ….
Autour d’elle, quelques uns qui en avaient assez d’être au raz des pâquerettes, mais qui pour autant ne souhaitaient pas cultiver les pensées de Pascal…!
Aujourd’hui : On a fait dire à Voltaire
« J’ai décidé d’être heureux, parce que c’est bon pour la santé.».
Ce trait d’humour, typiquement Voltairien, est d’une profonde malice.
Peut-être relève-t-il d’abord d’une certaine ironie à l’égard de lui-même.
Voltaire, grand hypocondriaque, s’est imaginé toute sa vie au bord du trépas bien qu’il vécut jusqu’à quatre-vingt-trois ans.
Mais c’est surtout envers le grand Aristote que Voltaire se montre impertinent.
Selon Aristote la fin ultime c’est le bonheur.
La santé est au service du bonheur, et non l’inverse.
Seul le bonheur est fin en soi, tous les autres biens ne sont que des moyens à son service.
Pourquoi faire des études ?
Pour avoir un bon métier, pourquoi avoir un bon métier ?
Pour gagner de l’argent.
Pourquoi gagner de l’argent ?
Pour jouir du confort.
Pourquoi jouir du confort ?
Pour être heureux.
Et à la question pour être heureux, point d’autres réponses que pour être heureux.
Le bonheur apparaît bien comme fin suprême.
Il existe une hiérarchie des fins. Le bonheur en est le sommet, il n’est pas le moyen mais la fin en soi de l’homme. On comprend donc l’énormité du blasphème que commet intentionnellement Voltaire à l’égard de la tradition philosophique, en mettant le bonheur au service de la santé.
Mais il se peut bien qu’il y ait un second sens, Voltaire met le bonheur au-dessus de la santé mais considère que si celui-ci peut avoir un effet bénéfique sur sa santé, c’est tant mieux ! Quoiqu’il en soit Voltaire nous laisse sur une équivoque, et c’est là le génie de sa formule.
Alain, est-il le dernier philosophe à accorder au bonheur
un rôle sur la santé ?
Dans ses « Propos sur le bonheur », Alain rapporte l’anecdote d’un soldat qui, pendant la première guerre mondiale, « vint à mon abri avec un visage qui exprimait le bonheur. Cette fois je suis malade. J’ai la fièvre ; le major me l’a dit. C’est peut-être la typhoïde ; je ne tiens plus debout […]. Enfin c’est l’hôpital. Après deux ans et demi de boue, j’ai bien mérité cette chance là ; mais je voyais bien que la joie déjà le guérissait. Le lendemain il n’était plus question de fièvre, mais bien de traverser les désagréables ruines de Flirey, pour gagner une position encore pire. »
Faire du bonheur un gage de santé, c’est pour nous modernes, une étrange présomption.
Il est vrai que les représentations de la santé forgées tout au long du XXe siècle nous ont dépossédés de l’idée que notre santé dépend avant tout de nous-mêmes.
La santé est devenue un droit que nous revendiquons auprès de l’État providence.
Nous comptons plus sur les prodiges de la technique que sur nous-mêmes pour préserver notre santé. Notre monde moderne a fait de la santé un grand marché économique et nous a réduit au rôle de consommateurs.
– Et si, comme Voltaire, dès l’année prochaine, nous suggérions à nos patients de décider d’être heureux parce que c’est bon pour leur santé…
SOURCE : Gynécologue Obstétricien
Hier gynécologue-obstétricien à l’hôpital du Havre, aujourd’hui à la retraite, le Dr Vercoustre, passionné de philosophie, lecteur enthousiaste de Michel Foucault et auteur de plusieurs ouvrages, s’est engagé depuis de nombreuses années dans une réflexion sur le monde médical.