BLOC NOTE CHOULAGER
par Chou blanc
La mort stupide de Jean Pensemal
Musique d’ambiance:
Nous sommes à Marseille dans les années 60, la mécanisation est encore insuffisante, et sur les quais des dockers s’affairent à décharger un cargo de carcasses de viande en provenance de l’Argentine.
Jean Pensemal et Louis Sansoseille terminent leur journée, chacun avec une carcasse sur le dos. Passerelle franchie, et fardeau déchargé, Louis dit à son jeune compagnon :
« Jean, ma femme m’attend, et il reste juste une carcasse dans la cale… ça t’ennuie pas de faire la dernière »
« Pas de soucis Louis, à titre de revanche »
Le soir tombe sur ce quai sinistre et morose que la lumière du crépuscule semble s’excuser d’éclairer. Les derniers dockers quittent sans regret les docks crasseux, Jean suit du regard son pote Louis qui s’éloigne. Un sentiment étrange bouscule ses pensées. C’est un peu comme s’il perdait chaque soir son pote Louis… Il a l’habitude de ce sentiment d’abandon quotidien, qui disparait quand le lendemain sa silhouette bedonnante perce au petit matin la brume du quai 8.
Quand même
, ce soir cela semblait différent, peut être à cause du pas pressé de Louis ?
Jean Pensemal se met en quête de sa dernière carcasse de viande. Il franchit la passerelle, passe le pont inférieur, et se dirige droit vers les box frigorifiques.
Là, il pénètre dans le frigo B, lieu de leur dernière prise en charge.
Les cales frigorifiques sont un dédale de piliers constituant l’armature du navire, et plus utile à cette dernière qu’à la rationalité du stockage. Cela contraint à un aménagement intérieur cloisonné à hauteur d’homme, pour mieux matérialiser des box.
Pas de doutes, il est au même box que tout à l’heure avec Louis et aucune carcasse de viande n’est là.
Accaparé par sa recherche, il n’entend pas le bruit dune porte que l’on ferme… il faut dire que dans ce type de cargo, l’activité bruyante va bon train et ce qui est déchargement d’un coté est activité de chargement dans une autre partie du rafiot.
Jean passe en revue tous les box, point de carcasse restante. Il se dit que Louis a mal fait son compte et se dirige d’un pas tranquille vers la sortie. Un couloir, virage à droite, la porte est en vue…. mais fermée
. ?
A première vue, cela n’alerte pas Jean Pensemal..! mais il change vite de comportement, lorsqu’il tente de l’ouvrir et que cette dernière lui résiste anormalement. Jean s’acharne après la poignée, la manipule dix fois de suite d’une main fébrile. Là, le rouge monte au visage, il vient de réaliser
.il est enfermé…! Panique dans sa tête, il tambourine et appelle tant qu’il peut
.. tant et plus….. tant et si bien qu’au bout de quelques instants sa gorge n’émet aucun son audible.
Dans l’environnement bruyant de ce navire, le bruit des poings sur cette porte en fer, ne peut alerter personne au-delà de 2 mètres de celle-ci.
Il cherche un objet métallique, retrouve son crochet de docker frappe et frappe encore sur la paroi métallique de la porte palière.
Son bras douloureux et l’absence de réponse à son entêtement, lui font lâcher le crochet et s’effondrer en sueur sur le sol. Assis le dos appuyé à la paroi à gauche de la porte, il appuie sa tête rejetée en arrière, comme pour mieux sentir le métal froid qui, selon lui doit le faire sortir de ce cauchemar.
Sa nuque, par sa proximité avec le point d’appui, reçoit par effet de conduction une froideur intense qui se répand dans ses épaules lui provoquant un frisson dans la colonne vertébrale …..! Il comprend très vite qu’il doit s’éloigner des parois métalliques qui concentrent le froid, et le diffusent par effet radiant. En même temps qu’il s’en éloigne, il réalise la menace du froid et ses effets à long terme.
La température de conservation est habituellement fixée entre 4 et 8 °c pour nos réfrigérateurs familiaux mais tombe ici entre 2 et 4 ° car le volume des carcasses justifie la conservation au coeur de la pièce.
Ses mains de docker connaissent bien l’intensité de ce froid …. en les regardant, il comprend que le danger vient du froid que son ennemi le plus redoutable c’est l’oubli dans ce trou à glace, car qui se souciera de ce jeune docker qui n’est pas passé à l’estaminet, qui se préoccupera de l’absence de lumière dans sa chambre mansardée. Personne n’a jamais attendu Jean Pensemal… Il réalise à quel point sa vie ressemble à ce local frigorifique vide et froide à la fois.
C’est cette absence de chaleur dans le coeur et ce désert affectif qui amplifient sa détresse. Comment et combien de temps allait-t-il devoir attendre le matelot de quart pour sortir de là …? Il ne le sait pas, et déjà la désespérance fait place à une panique sournoise et insidieuse qui s’invite en lui, imposant à son esprit un scénario catastrophe et un seul … Il va rester enfermé jusquà ce que la mort n’ait même pas à se donner la peine de le refroidir.
Aucun élément positif ne lui venait à l’esprit. Dans la panique ambiante, il réalise qu’il n’a personne sur terre à qui s’accrocher
maudit soit cet incendie qui lui a emporté ses parents, sa seule famille.
Ironie de la vie ou de la mort que de devoir mourir dans des conditions diamétralement opposées à celles de ses êtres chers.
Rien dans sa tête ne peut lui faire oublier le froid qui règne en maitre dans son coeur ! Ce froid , qui lentement gagne au fil des heures les moindres recoins de son être. Il se lève de temps en temps, bouge son corps endormi, et de plus en plus engourdi. Il ne réalise même plus que chaque mouvement qu’il fait pour se réchauffer, obère sa capacité de résistance.
Pris en étau entre panique et désespoir, coincé entre sa souffrance intérieure et l’insensibilité progressive de son corps, il ne sent désormais plus ses chairs !
La panique décuple, quand il entend la sirène du cargo saluer la rade de Marseille .. il repart vers l’Argentine
! Quand… ! Mais Bon Dieu, Quand le matelot de quart entendra-t-il ses coups renouvelés sur la porte palière ?.
Son désespoir est à son comble, quant tout à coup, la lumière s’éteint.
C’est comme si la dernière heure qu’il pressent proche se joignait à la débâcle. Il reste hagard et désormais désorienté dans la pénombre. Seuls, deux blocs de sécurité font danser l’ombre de sa frêle silhouette sur le mur du box comme une dernière danse macabre ironique et pesante.
Il n’y avait pas d’autre issue, et dans ce désordre irrationnel, dans ce chaos injuste, il ne peut trouver l’espérance qu’en témoignant, qu’en décrivant sa souffrance sur ce mur qui devenait celui des lamentations
.. Ce crayon papier qu’il portait toujours sur lui pour noter le nombre de ballots transportés, était devenu, à ses yeux, un bien précieux, le seul vecteur de communication, le seul moyen d’appeler virtuellement à l’aide avec les mots simples, appris avant qu’on lui demande de remplacer sa tête par ses épaules.
Dans l’espérance d’être entendu par un être supérieur, qu’il a toujours jusqu’à à ce jour ignoré, Il écrit
.. écrit encore, décrivant la montée du froid, ses dégâts dans ses chairs, la froideur de ses larmes, le désordre de son âme se refroidissant avec lui …
Il passe d’une paroi du box à l’autre, comme on tourne les pages de son carnet intime, réécrivant ce qu’il a écrit la veille, détaillant la faim qui le tenaille, l’odeur de ses propres excréments qui voyagent avec lui à la lumière vacillante du bloc de sécurité.
Il perd progressivement la notion du temps qui passe, trace des buchettes sensées représenter les heures d’anxiété qui s’écoulent. Il sent bien au fond de lui que cela ne correspond pas à la réalité du dehors, à un monde rythmé par un soleil dont il ne revoit plus les rayons, un monde auquel il n’a plus accès.
Les buchettes succèdent aux buchettes, les phrases deviennent sibyllines répétitives et glacées comme ses membres qui menacent de se briser à tout instant.
Les phrases décrivent la rigidité cadavérique qui l’envahit, les pensées qui se cassent en deux, dans sa tête, comme une banquise qui cède
.
L’écriture n’est plus tremblotante, car son amplitude diminue au point de devenir linéaire et difficilement déchiffrable. L’expression n’est presque plus que suite de mots à la froideur polaire
Le mot coeur est écrit trois fois, pour finir par donner «mon coeur se brise » sans qu’aucune main n’ait pu donner de second souffle à un récit devenu définitivement funeste.
- –OUI Jean Pensemal a certes eu tord de paniquer; car dans ce désordre intérieur, n’ayant rien à quoi se raccrocher de rationnel, il en a oublié les alarmes qui sont fixées sur la porte d’en face et le boiter des clés de sécurité fixé à quelques box de là!
La certitude de la mort prochaine, le vide affectif ou rien ne permet de se raccrocher ont eu raison de lui…!
Lui a fait défaut, la force d’une pensée positive qui aurait pu éviter ce désastre. Ceci nous démontre que notre corps est fragile face au froid, face aux événements extérieurs que nous subissons comme une fatalité alors que nous devrions les combattre comme un simple obstacle en travers de notre route. - OUI Jean Pensemal est mort dans cette cale frigorifique, seul au monde comme une carcasse abandonnée. On retrouve son corps recroquevillé sur lui-même, en position foetale, comme un bloc de glace dont la rigidité cadavérique n’a pas pu amplifier la dureté.
- OUI Le médecin du port de BUENOS AIRES constate bien une mort par le froid
- OUI , après enquête, le Capitaine Alfredo a bien consigné sur son livre de bord, qu’un docker est mort sur son navire
..
Mort étrangement de froid, dans des box vides et dépourvus de réfrigération puisque rien ne justifie le maintien en marche de frigos vides . ! - OUI, vous avez bien lu, seule la panique, et les pensées négatives ont eu raison du pauvre Jean Pensemal. Il a reconstitué par la pensée, les symptômes du froid jusquà provoquer sa mort .. !
- OUI encore aujourd’hui, comme inscrite dans le marbre, l’agonie écrite au crayon est toujours donnée en lecture aux nouveaux moussaillons elle est là comme pour leur donner une leçon de vie, pour leur apprendre, que cette force intérieure qui s’est déchainée contre Jean Pensemal est à contrario, une force capable de se mobiliser en votre faveur pour vous protéger, et vous permettre de résister à tous les événements intérieurs ou extérieurs que peut vivre votre corps.
- OUI cette histoire est vraie (seul son nom a été modifié) Oui la force de la pensée peut réaliser tout cela, mais de grâce veiller à la faire fonctionner comme une force positive en vous, et en cas de difficultés revenez relire les phrases , les mots et les pensées que j’ai tenté de faire planer dans ce texte.
Ainsi revivra en vous la voix de Jean Pensemal …..Puissiez vous être nombreux, à croire à un être supérieur, Dieu ou la divine providence pour vous aider à fuir la panique et à penser mieux que lui.
« Paix à ton âme mon petit Jean …..!
Merci Mémé Marthe de m’avoir raconté son histoire…! «
CHOU BLANC ( vous pouvez lire d’autres histoires dans la catégorie choulager et la chouette des clochers)