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Le sermon de l’âne

Le sermon de l’âne


La mèche au vent, l’œil et l’oreille coquine,
un âne allait en riant, portant la Vierge Marie et l’Enfant Jésus,
créateur du monde et des hommes.
Qu’un âne porte l’enfant Jésus, c’est extraordinaire,
mais qu’il en soit tout joyeux, c’est une chose normale.
Je ne vois pas pourquoi l’âne réciterait les Psaumes de la Pénitence,
alors qu’il porte sur son dos Dieu-Enfant.
Cet âne-là, j’en suis sûr, n’est pas triste,
il rit, il parle aussi, de temps en temps.

À la cathédrale d’Autun, la nuit de Noël,
quand tout le monde est parti,
tous les animaux de la Cathédrale descendent de leurs piliers:
il y en a soixante-seize.
Ils viennent vers la Crèche, lorsqu’elle est jolie.
Autrement, ils se mettent devant le chapiteau de la Nativité
et dansent et ils chantent:
Il est né le divin Enfant.

L’âne de la fuite en Égypte,
qui est descendu en riant de la Salle Capitulaire,
là où, autrefois, les Chanoines se faisaient des discours
l’âne de la fuite en Égypte,
qui est le plus subtil des animaux,
monte en chair et fait un sermon.

Une année, il fit le discours suivant:
« Mes frères, les humains vont bientôt venir,
vous allez remonter sur vos piliers,
car les humains, qui ne comprennent rien,
ne comprendraient pas de vous voir ici.
Ils se croient importants, et ils sont capables de s’entendre !
Que chacun d’entre vous, par sa tenue,
soit une prédication pour ces pauvres humains
qui me font pitié.

Voici ce que j’essaie de leur dire lorsqu’il me regardent:
Mesdames et messieurs, je suis le seul être au monde
qui soit heureux de son sort
et qui ne cherche pas une autre place;
je voudrais que ce soit tout le temps la Fuite en Égypte.
Je vous prie, mesdames et messieurs
de temps en temps, faites comme moi, vous serez heureux.
De temps en temps, allez sur la route d’Égypte,
mettez-vous du côté de celui qui est mis à la porte;
de temps en temps, faites l’âne et portez Dieu.
Ainsi soit-il. »

Et tous répondirent: « Deo Gracias »
et tous firent un salut au Choeur
et tous remontèrent, chacun sur son pilier,
l’âne le dernier, avec le sourire.

Denis Grivot
extrait de le monde d’Autun,
La pierre-qui-Vire, 1965
(Collection Zodique)

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