J’ VA VOUS LA RACONTER : Les étrennes de la concierge.


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J’ VA VOUS LA
RACONTER….

Mais venez pas pleurer après..!

« M’dame Michu !
— Quoi ?
— Je vous la souhaite bonne et heureuse ! »

Bonne et sainte année 2013 ! histoire d'un jeune garçonLa concierge se retourne, bourrue comme toujours, et se trouve en face de Jean Larcher, douze ans, la taille bien prise dans son sweater de laine blanche, l’œil légèrement coquin sous la chevelure embroussaillée, et qui la regarde en souriant.

« Bonne et heureuse… bonne et heureuse… C’est vite dit.

— Dame, vous savez, M’dame Michu, c’est tout ce que je peux vous offrir comme étrennes moi… J’ai pas d’sous.
— Je ne t’en demande pas non plus… Seulement, tu me dis que tu me souhaites une bonne et heureuse année… alors, ça me fait pitié, quoi ! »

Et la vieille femme retourne à son fourneau, plus grognon que jamais.

Si vous croyez que c’est ça qui va décourager l’ami Jean, vous vous trompez. On est un Cœur Vaillant ou on ne l’est pas. Et lui, Jean, en est un, et un fameux !

« Ça va donc pas c’matin, M’dame Michu ?
— C’matin ?… c’matin ?… pas plus c’matin que les aut’matins, les aut’jours, et les aut’nuits… Comment veux-tu que ça aille ?
— Pourtant, un jour comme aujourd’hui…
— Ben quoi ? Qu’est-ce qu’il a ce jour-là ?
— Il a qu’il est le jour de l’an… que c’est un jour à mandarines et à crottes de chocolat… un jour ousqu’on s’embrasse et où qu’il faut pas faire la tête.
— Pas faire la tête ?… Je voudrais bien savoir celle que tu ferais, toi, si t’étais à ma place… Regarde-moi un peu !
— J’vous regarde, M’dame Michu.
— Oui, et tu te dis que tu ne regardes qu’une vieille bête…
— Oh ! non… pas vieille… Enfin, j’veux dire que…
— En tout cas, tu vois la femme la plus malheureuse qui existe. »

Et la voilà qui mène Jean devant la commode, au-dessus de laquelle elle lui montre des photographies :

« Tu vois, là, c’est mon mari… Mort à la peine… s’est tué au travail… Là, c’est mon garçon, mon petit Marc… il serait grand à présent ; je l’ai perdu quand il avait ton âge une sale méningite me l’a enlevé ; il était comme toi : le même sourire, la même allure… Ah ! mon Dieu… Ici, sa petite sœur, morte à six ans… Tu entends ? à six ans… Si c’est pas une pitié !

— …

Récit d'un garçon qui comprend une vielle dame malheureuse— Et tout à l’heure, tu disais qu’aujourd’hui c’est un jour où on s’embrasse ?… J’voudrais bien savoir qui m’embrassera, moi, aujourd’hui ?… Autrefois, oui, mes deux petits me sautaient au cou ce jour-là… Et Maman par-ci, et Maman par-là… Moi, je leur donnais leurs petites étrennes… Et ils étaient heureux, fallait voir… Aujourd’hui, je vais être toute seule…

— Pauv’Mâme Michu !
— Ah ! j’comprends que tu sois heureux, toi… et que tu le guettes, le jour de l’an !
— Oh ! vous savez, chez nous, on n’est pas riche, et faut pas croire qu’on va me donner tant de choses.
— S’agit pas de choses… Mais tu vas câliner ton papa, ta maman, ton grand frère… Seulement, attends un peu : ça durera peut-être pas toujours. La maladie peut venir, tu sais… Et puis, si tu lisais les journaux, tu verrais qu’on parle encore de guerre… Ton grand frère aurait l’âge, cette fois…
— Oh ! M’dame ! »

Jean s’est reculé d’un pas ; ses grands yeux clairs sont pleins de larmes. La concierge, un peu honteuse tout de même de ce qu’elle vient de dire, voudrait se rattraper… Elle a dit ça comme ça… C’sont des mots qu’on dit quand on a le cafard… des choses qui vous viennent brusquement les jours où on a trop de peine…

« Tu vois, t’aurais mieux fait de pas venir… Le bonheur des autres, vlà que ça me rend méchante à c’t’heure. »

Jean regarde toujours la mère Michu… Faut-il qu’elle en ait de la peine, tout de même, cette pauvre vieille, pour dire des choses pareilles ! C’est vrai que ça va être bien dur aussi de rester seule, toute la journée, au fond de sa loge, tandis qu’elle entendra au-dessus de sa tête les allées et venues des autres familles qui seront tout à la joie.

« M’dame Michu, pourquoi que vous ne parlez jamais de ça au Bon Dieu ? »

La concierge hausse les épaules. Le Bon Dieu ? Il n’avait qu’à lui laisser ses enfants ; elle n’en demandait pas plus…

Jean comprend que ce n’est pas le moment de discuter… Faudrait trouver autre chose…

« M’dame Michu ?
— Quoi ?
— Tout à l’heure, vous disiez… Enfin, c’est vrai que je ressemble à votre petit Marc qui est mort ? »

Voeux de bonheur - Vieille femme et garçonnetLa vieille femme fait oui de la tête.

« Alors, je voudrais… mais je ne sais pas si ça vous plaira… je voudrais vous embrasser de sa part, comme il faisait autrefois, au jour de l’an… Vous voulez bien ? »

Et, sans attendre la réponse, Jean s’est avancé et, levé sur la pointe des pieds, il baise le vieux front ridé…

Les boucles brunes du petit se mêlent aux vieilles mèches toutes grises.

« Voilà, M’dame Michu, c’est de la part de Marc… Comme ça, vous ne pourrez pas dire que personne ne vous a embrassée aujourd’hui. »

Et il s’est sauvé bien vite, parce que les yeux lui piquaient drôlement… Il a bien entendu la concierge qui disait, d’une voix drôle, toute changée

« Mon petit Jean… mon petit Jean… »
…Mais il était déjà au deuxième étage.

Mais quelqu’un qui a été bien étonné, trois jours plus tard, c’est Monsieur l’abbé, qui a reçu à son confessionnal une vieille femme qui n’avait pas communié depuis vingt ans et qui lui a demandé, en sortant, s’il connaissait Jean Larcher.

« Mais oui, Madame. Il vient à mon patronage.
— Eh bien ! vous lui direz que je me suis confessée, et que je raconterai dans l’avenir toutes mes peines au Bon Dieu… Ça lui fera plaisir, à Jean.

— Mais, Madame… quel nom donnerai-je ?

— Vous lui direz que c’est de la part du petit Marc… Il comprendra. »

SOURCE : 

Les étrennes de la concierge.


Pierre Rougemont.    

BONUS POUR MAMY ET SES AMIS
SOUVENIRS SOUVENIRS :

« LES MAITRES DU MYSTÈRE « 

Durée : 47 minutes

J’ VA VOUS LA
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