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ALLEZ MAMY RACONTE: la chèvre de Monsieur Seguin

Logo allez mamy raconte étéALLEZ MAMY…! RACONTE….! est une série pour les petits et les grands enfants..!
Tout cet été dans la Chouette, ma Mamy se transformera en conteuse de bord de mer….ou d’Arrière pays….
Préparez les esquimaux glacés…..
Pour les autres ….??
ceux qui ne partent pas en vacances faute de moyens ou de forces pour assumer le voyage….
Ben..! Faisons les rêvez…..!
Aujourd’hui du LA CHÈVRE DE MONSIEUR SEGUIN.!

logo mamy turlututu smallLes chers enfants moi aussi j’avais une grand mère qui, comme moi, aimait à raconter des histoires à la choupinette que j’étais en ce temps là….!

Elle se plaisait à me parler de ses amis, en particulier de M ALPHONSE DAUDET qui lui écrivait des lettres du haut de son moulin de Provence

 

l'accés au poème sonore est à droite

LA CHÈVRE DE MONSIEUR SEGUIN

M. Seguin n’avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres.

L’histoire se passe dans un paysage
de petite montagne

Il les perdait toutes de la même façon : un beau matin, elles cassaient leur corde, s’en allaient dans la montagne, et là-haut le loup les mangeait! Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C’était, parait-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté.

Le brave M. Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné. II disait

– C’est fini : les chèvres s’ennuient chez moi, je n’en garderai pas une.

Cependant, il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième; seulement, cette fois, il eut soin de la prendre toute jeune, pour qu’elle s’habituât mieux à demeurer chez lui.

jonasAh! Gringoire, qu’elle était jolie la petite chèvre de M. Seguin! qu’elle était jolie avec ses yeux doux, sa barbiche de sous-officier, ses sabots noirs et luisants, ses cornes zébrées et ses longs poils blancs qui lui faisaient une houppelande! C’était presque aussi charmant que le cabri d’Esméralda, tu te rappelles, Gringoire? – et puis, docile, caressante, se laissant traire sans bouger, sans mettre son pied dans l’écuelle. Un amour de petite chèvre…

M. Seguin avait derrière sa maison un clos entouré d’aubépines. C’est là qu’il mit sa nouvelle pensionnaire. Il l’attacha à un pieu, au plus bel endroit du pré, en ayant soin de lui laisser beaucoup de corde, et de temps en temps il venait voir si elle était bien. La chèvre se trouvait très heureuse et broutait l’herbe de si bon coeur que M. Seguin était ravi. – Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s’ennuie pas chez moi!

M. Seguin se trompait, sa chèvre s’ennuya.

Un jour, elle se dit en regardant la montagne:

– Comme on doit être bien là-haut! Quel plaisir de gambader dans la bruyère, sans cette maudite longe qui vous écorche le cou!… C’est bon pour l’âne ou pour le boeuf de brouter dans un clos!… Les chèvres, il leur faut du large.

A partir de ce moment, l’herbe du clos lui parut fade. L’ennui lui vint. Elle maigrit, son lait se fit rare. C’était pitié de la voir tirer tout le jour sur sa longe, la tête tournée du côté de la montagne, la narine ouverte, en faisant Mè!… tristement.

M. Seguin s’apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c’était… Un matin, comme il achevait de la traire, chèvre se retourna et lui dit dans son patois
– Ecoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne.
– Ah! mon Dieu!… Elle aussi ! cria M. Seguin stupéfait, et du coup il laissa tomber son écuelle ; puis s’asseyant dans l’herbe à côté de sa chèvre :
-Comment, Blanquette, tu veux me quitter ! Et Blanquette répondit
– Oui, monsieur Seguin.
– Est-ce que l’herbe te manque ici?
– Oh! non! monsieur Seguin.
– Tu es peut-être attachée de trop court : veux-tu que j’allonge la corde?
– Ce n’est pas la peine, monsieur Seguin.
– Alors, qu’est-ce qu’il te faut ! qu’est-ce que tu veux ?
– Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.
– Mais, malheureuse, tu ne sais pas qu’il y a le loup dans la montagne… Que feras-tu quand il viendra?
– Je lui donnerai des coups de cornes, monsieur Seguin.
– Le loup se moque bien de tes cornes, Il m’a mangé des biques autrement encornées que toi… Tu sais bien, la pauvre vieille Renaude qui était ici l’an dernier? une maîtresse chèvre, forte et méchante comme un bouc. Elle s’est battue avec le loup toute la nuit… puis, le matin, le loup l’a mangée.
– Pécaïre! Pauvre Renaude!… Ça ne fait rien, monsieur Segiiin, laissez-moi aller dans la montagne.
– Bonté divine!.. dit M. Seguin; mais qu’est-ce qu’on leur fait donc à mes chèvres? Encore une que le loup va me manger… Eh bien, non… je te sauverai malgré toi, coquine, et de peur que tu ne rompes la corde je vais t’enfermer dans l’étable, et tu y resteras toujours.

logo jonas étéLà-dessus, M. Seguin emporta la chèvre dans une étable toute noire, dont il ferma la porte à double tour. Malheureusement, il avait oublié la fenêtre, et à peine eut-il le dos tourné, que la petite s’en alla.

Tu ris, Gringoire? Parbleu! je crois bien; tu es du parti des chèvres, toi, contre ce bon M. Seguin… Nous allons voir si tu riras tout à l’heure.

Quand la chèvre blanche arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n’avaient rien vu d’aussi joli. On la reçut comme une petite reine. Les châtaigniers se baissaient jusqu’à terre pour la caresser du bout de leurs branches

Les genêts d’or s’ouvraient sur son passage, et sentaient bon tant qu’ils pouvaient.
Toute la montagne lui fit fête.
Tu penses, Gringoire, si notre chèvre était heureuse !
Plus de corde, plus de pieu… rien qui l’empêchât de gambader, de brouter à sa guise… C’est là qu’il y en avait de l’herbe !
jusque par-dessus les cornes, mon cher !… Et quelle herbe ! Savoureuse, fine, dentelée, faite de mille plantes… C’était bien autre chose que le gazon du clos. Et les fleurs donc !… De grandes campanules bleues, des digitales de pourpre à longs calices, toute une forêt de fleurs sauvages débordant de sucs capiteux !…

La chèvre blanche, à moitié soûle, se vautrait là-dedans les jambes en l’air et roulait le long des talus, pêle-mêle avec les feuilles tombées et les châtaignes… Puis, tout à coup elle se redressait d’un bond sur ses pattes.

Hop ! la voilà partie, la tête en avant, à travers les maquis et les buissières, tantôt sur un pic, tantôt au fond d’un ravin, là haut, en bas, partout… On aurait dit qu’il y avait dix chèvres de M. Séguin dans la montagne.

C’est qu’elle n’avait peur de rien la Blanquette.

Elle franchissait d’un saut de grands torrents qui l’éclaboussaient au passage de poussière humide et d’écume.

jonasAlors, toute ruisselante, elle allait s’étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par

le soleil… Une fois, s’avançant au bord d’un plateau, une fleur de cytise aux dents, elle

aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de M. Séguin avec le clos derrière.

Cela la fit rire aux larmes.

– Que c’est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là dedans ?

 Pauvrette ! de se voir si haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde…

En somme, ce fut une bonne journée pour la chèvre de M. Séguin. Vers le milieu du jour, en courant de droite et de gauche, elle tomba dans une troupe de chamois en train de croquer une lambrusque à belles dents. Notre petite coureuse en robe blanche fit sensation.

On lui donna la meilleure place à la lambrusque, et tous ces messieurs furent très galants… Il paraît même, – ceci doit rester entre nous, Gringoire,

– qu’un jeune chamois à pelage noir, eut la bonne fortune de plaire à Blanquette.
Les deux amoureux s’égarèrent parmi le bois une heure ou deux, et si tu veux savoir ce qu’ils se dirent, va le demander aux sources bavardes qui courent invisibles dans la mousse.

Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c’était le soir.
– Déjà ! dit la petite chèvre ; et elle s’arrêta fort étonnée.
En bas, les champs étaient noyés de brume. Le clos de M. Séguin disparaissait dans le brouillard, et de la maisonnette on ne voyait plus que le toit avec un peu de fumée. Elle écouta les clochettes d’un troupeau qu’on ramenait, et se sentit l’âme toute triste… Un gerfaut, qui rentrait, la frôla de ses ailes en passant. Elle tressaillit…Puis ce fut un hurlement dans la montagne :
– H o u ! h o u !
Elle pensa au loup ; de tout le jour la folle n’y avait pas pensé… Au même moment une
trompe sonna bien loin dans la vallée. C’était ce bon M. Séguin qui tentait un dernier effort.

– Hou ! hou !… faisait le loup.
– Reviens ! reviens !… criait la trompe.

Blanquette eut envie de revenir ; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu’il valait mieux rester.
La trompe ne sonnait plus…

La chèvre entendit derrière elle un bruit de feuilles.

Elle se retourna et vit dans l’ombre deux oreilles courtes, toutes droites, avec deux yeux qui reluisaient…C’était le loup.

Énorme, immobile, assis sur son train de derrière, il était là regardant la petite chèvre blanche et la dégustant par avance. Comme il savait bien qu’il la mangerait, le loup ne se pressait pas ; seulement, quand elle se retourna, il se mit à rire méchamment.
– Ah ! ha ! la petite chèvre de M. Séguin ! et il passa sa grosse langue rouge sur ses babines d’amadou.

Blanquette se sentit perdue…

Un moment, en se rappelant l’histoire de la vieille Renaude,
qui s’était battue toute la nuit pour être mangée le matin, elle se dit qu’il vaudrait peut-être mieux se laisser manger tout de suite ; puis, s’étant ravisée, elle tomba en garde, la tête basse et la corne en avant,comme une brave chèvre de M. Séguin qu’elle était…
Non pas qu’elle eût l’espoir de tuer le loup, les chèvres ne tuent pas le loup
, – mais seulement pour voir si elle pourrait tenir aussi longtemps que la Renaude…

Alors le monstre s’avança, et les petites cornes entrèrent en danse.
Ah ! la brave chevrette, comme elle y allait de bon cœur ! Plus de dix fois, je ne mens pas, Gringoire, elle força le loup à reculer pour reprendre haleine.

Pendant ces trêves d’une minute, la gourmande cueillait en hâte encore un brin de sa chère herbe ; puis elle retournait au combat, la bouche pleine…
Cela dura toute la nuit. De temps en temps la chèvre de M. Séguin regardait les étoiles danser dans le ciel clair et elle se disait :

– Oh ! pourvu que je tienne jusqu’à l’aube…

L’une après l’autre, les étoiles s’éteignirent.

Blanquette redoubla de coups de cornes, le loup de coups de dents…

Une lueur pâle parut dans l’horizon… Le chant du coq enroué monta d’une métairie.

– Enfin ! dit la pauvre bête, qui n’attendait plus que le jour pour mourir ; et elle s’allongea par terre dans sa belle fourrure blanche toute tachée de sang…

Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea.

logo mamy turlututu smallAdieu, Mamy !

L’histoire que tu as entendue n’est pas un conte de mon invention. Si jamais tu viens en Provence, nos ménagers te parleront souvent de la cabro de moussu Séguin , que se battégue tonto la neui erré lou loup, e piei lou matinlou loup la mangé

 – Tu m’entends bien, MAMY :

E piei lou matin lou loup la mangé

SOURCE LES LETTRES DE MON MOULIN

logo mamy raconte aux pitchousALLEZ MAMY RACONTE…!
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RETRO : C’est un autre épisode….

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FLONFLON ADORE : les contes du lundi d’A.DAUDET


FLONFLON ADORE ….LIRE
Elle adore les résumés qui font croire aux autres

qu’elle a tout lu..!!!!

En lisant les
CONTES DU LUNDI D’ALPHONSE DAUDET
le devoir de mémoire devient facile car il est mémoire de mioches alsaciens ballotés par les guerres…. Les mots créaient des maux .. indélébiles car ces mioches là en parlent encore assis sur leur petit nuage … enfin bleu blanc rouge..!  »,

Contes du lundi est un recueil de nouvelles en trois parties de l’écrivain français Alphonse Daudet.

Publié en 1873 ils sont inspiré des événements de la guerre franco-prussienne, il dresse des tableaux réalistes de la vie de l’époque :

le peuple de Paris soumis aux privations, les événements de la Commune et la répression des Versaillais.

Alphonse Daudet exalte aussi la tristesse de la perte de l’Alsace-Lorraine à travers « La Dernière Classe », le récit le plus connu de cet ouvrage.

L’Alsace-Lorraine  est le territoire cédé par la France à l’Empire allemand en application du traité de Francfort, signé le après la défaite française.
Au sens strict, l’entité politique qui a été couramment appelée Alsace-Lorraine, et qui portait le nom officiel de Reichsland Elsaß-Lothringen, correspond au territoire de l’Alsace-Moselle, c’est-à-dire aux actuels départements français du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
Dans la France entière dès 1871, en mémoire des régions perdues, un grand nombre de rues, avenues, boulevards, places et cours ont été baptisés du nom « d’Alsace-Lorraine »  Sur la place de la Concorde à Paris, la statue représentant la ville de Strasbourg fut fleurie et voilée d’un drap noir jusqu’à l’armistice de 1918.


LA DERNIÈRE CLASSE – RACONTÉE PAR FERNANDEL

La dernière classe
(récit d’un petit Alsacien)
 
Ce matin-là, j’étais très en retard pour aller à
l’école, et j’avais grand-peur d’être grondé, d’autant que M. Hamel nous avait dit qu’il nous interrogerait sur les participes, et je n’en savais pas le premier mot.
Un moment l’idée me vint de manquer la classe et de prendre ma course à

travers champs.

 

Le temps était si chaud, si clair !
On entendait les merles siffler à la lisière du
bois, et dans le pré Rippert, derrière la scierie, les Prussiens qui faisaient l’exercice.
Tout cela me tentait bien plus que la règle des participes; mais j’eus la force de résister, et je courus bien vite vers l’école.
En passant devant la mairie, je vis qu’il y avait du monde arrêté près du petit grillage aux affiches.
Depuis deux ans, c’est de là que nous sont venues toutes les mauvaises nouvelles, les
batailles perdues, les réquisitions, les ordres de la commandature ; et je pensai sans m’arrêter :
« Qu’est-ce qu’il y a encore ? »
Alors, comme je traversais la place en courant, le forgeron Wachter, qui était là avec son
apprenti en train de lire l’affiche, me cria :
« Ne te dépêche pas tant, petit ; tu y arriveras toujours assez tôt à ton école ! »
Je crus qu’il se moquait de moi, et j’entrai tout essoufflé dans la petite cour de M. Hamel.
D’ordinaire, au commencement de la classe, il se faisait un grand tapage qu’on entendait jusque
dans la rue : les pupitres ouverts, fermés, les leçons qu’on répétait très haut tous ensemble en
se bouchant les oreilles pour mieux apprendre, et la grosse règle du maître qui tapait sur les tables :
« Un peu de silence ! »
Je comptais sur tout ce train pour gagner mon banc sans être vu ; mais, justement, ce jour-là,
tout était tranquille, comme un matin de dimanche. Par la fenêtre ouverte, je voyais mes
camarades déjà rangés à leurs places, et M.Hamel, qui passait et repassait avec la terrible
règle en fer sous le bras. Il fallut ouvrir la porte et entrer au milieu de ce grand calme. Vous pensez,si j’étais rouge et si j’avais peur !
Eh bien ! non. M Hamel me regarda sans colère et me dit très doucement :

« Va vite à ta place, mon petit Franz; nous allions commencer sans toi. »

J’enjambai le banc et je m’assis tout de suite à mon pupitre.
Alors seulement, un peu remis de ma frayeur, je remarquai que notre maître avait sa belle redingote verte, son jabot plissé fin et la calotte de soie noire brodée qu’il ne mettait que
les jours d’inspection ou de distribution de prix.

Du reste, toute la classe avait quelque chose d’extraordinaire et de solennel.

Mais ce qui me surprit le plus, ce fut de voir au fond de la salle, sur les bancs qui restaient vides d’habitude, des gens du village assis et silencieux comme nous :

le vieux Hauser avec son tricorne, l’ancien maire l’ancien facteur, et puis d’autres personnes encore.
Tout ce monde-là paraissait triste ; et Hauser avait apporté un vieil abécédaire mangé aux bords qu’il tenait grand ouvert sur ses genoux, avec ses grosses lunettes posées en travers des pages.

Pendant que je m’étonnais de tout cela, M. Hamel était monté dans sa chaire, et de la même voix douce et grave dont il m’avait reçu, il nous dit :

« Mes enfants, c’est la dernière fois que je vous fais la classe. L’ordre est venu de Berlin de ne plus enseigner que l’allemand dans les écoles de l’Alsace et de la Lorraine…
Le nouveau maître arrive demain. Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français.
Je vous prie d’être bien attentifs. »
« Le nouveau maître arrive demain.
Aujourd’hui, c’est votre dernière leçon de français.

Je vous prie d’être bien attentifs. »
Ces quelques paroles me bouleversèrent.
Ah! les misérables, voilà ce qu’ils avaient affiché à la mairie.
Ma dernière leçon de français !…
Et moi qui savais à peine écrire !
Je n’apprendrais donc jamais !
  Il faudrait donc en rester là !… Comme je m’en voulais maintenant du temps perdu, des classes manquées à courir les nids ou à faire des glissades sur la Saar !
Mes livres que tout à l’heure encore je trouvais si ennuyeux, si lourds à porter, ma grammaire, mon histoire sainte me semblaient à présent de vieux amis qui me feraient beaucoup de peine à quitter.
C’est comme M. Hamel. L’idée qu’il allait partir,que je ne le verrais plus, me faisait oublier les
punitions, les coups de règle.
Pauvre homme !
C’est en l’honneur de cette dernière classe qu’il avait mis ses beaux habits du dimanche, et
maintenant je comprenais pourquoi ces vieux du village étaient venus s’asseoir au bout de la salle.
Cela semblait dire qu’ils regrettaient de ne pas y être venus plus souvent, à cette école. C’était
aussi comme une façon de remercier notre maître de ses quarante ans de bons services, et de rendre leurs devoirs à la patrie qui s’en allait…
J’en étais là de mes réflexions, quand j’entendis appeler mon nom.
C’était mon tour de réciter. Que n’aurais-je pas donné pour pouvoir dire tout au long cette fameuse règle des
participes, bien haut, bien clair, sans une faute;
mais je m’embrouillai aux premiers mots, et je
restai debout à me balancer dans mon banc, le
cœur gros, sans oser lever la tête.
J’entendais M.
Hamel qui me parlait :
« Je ne te gronderai pas, mon petit Franz, tu
dois être assez puni… Voilà ce que c’est. Tous les
jours on se dit :
Bah ! j’ai bien le temps. J’apprendrai demain.

Et puis tu vois ce qui arrive…

Ah! ça été le grand malheur de notre Alsace de toujours remettre son instruction à demain.
Maintenant ces gens-là sont en droit de nous dire: Comment ! Vous prétendiez être français, et vous ne savez ni lire ni écrire votre langue!…
Dans tout ça, mon pauvre Franz, ce n’est pas encore toi le plus coupable. Nous avons tous notre bonne part de reproches à nous faire.

« Vos parents n’ont pas assez tenu à vous voir

instruits. Ils aimaient mieux vous envoyer travailler à la terre ou aux filatures pour avoir quelques sous de plus.

Moi-même, n’ai-je rien à  me reprocher ?
Est-ce que je ne vous ai pas

souvent fait arroser mon jardin au lieu de travailler?
Et quand je voulais aller pêcher des truites, est-ce que je me gênais pour vous donner
congé ?… »
Alors, d’une chose à l’autre, M. Hamel se mit à nous parler de la langue française, disant que
c’était la plus belle langue du monde, la plus claire, la plus solide : qu’il fallait la garder entre
nous et ne jamais l’oublier, parce que, quand un peuple tombe esclave, tant qu’il tient bien sa
langue, c’est comme s’il tenait la clef de sa prison – («S’il tient sa langue, –il tient la clé qui de ses chaînes le délivre.» F. Mistral.)
… Puis il prit une grammaire et nous lut
notre leçon. J’étais étonné de voir comme je comprenais.
Tout ce qu’il disait me semblait facile, facile. Je crois aussi que je n’avais jamais si bien écouté et que lui non plus n’avait jamais mis autant de patience à ses explications.
On aurait dit qu’avant de s’en aller le pauvre homme voulait nous donner tout son savoir, nous le faire entrer dans la tête d’un seul coup.
La leçon finie, on passa à l’écriture. Pour ce jour-là, M. Hamel nous avait préparé des exemples tout neufs, sur lesquels était écrit en belle ronde :
France, Alsace, France, Alsace.
Cela faisait comme des petits drapeaux qui flottaient tout autour de la classe, pendus à la
tringle de nos pupitres. Il fallait voir comme chacun s’appliquait, et quel silence !
On n’entendait rien que le grincement des plumes sur le papier. Un moment des hannetons entrèrent ; mais personne n’y fit attention, pas même les tout petits qui s’appliquaient à tracer leurs bâtons avec un cœur, une conscience, comme si cela encore était du français…Sur la toiture de l’école, des pigeons roucoulaient tout bas, et je me disais en les écoutant :
« Est-ce qu’on ne va pas les obliger à chanter en allemand, eux aussi ? »

De temps en temps, quand je levais les yeux de dessus ma page, je voyais M. Hamel immobile ans sa chaire et fixant les objets autour de lui, comme s’il avait voulu emporter dans son regard toute sa petite maison d’école…
Pensez ! depuis quarante ans, il était là à la même place, avec sa cour en face de lui et sa classe toute pareille.
Seulement les bancs, les pupitres s’étaient polis,frottés par l’usage ; les noyers de la cour avaient grandi, et le houblon qu’il avait planté lui-même enguirlandait maintenant les fenêtres jusqu’au toit.
Quel crève-cœur ça devait être pour ce pauvre homme de quitter toutes ces choses, et d’entendre sa sœur qui allait, venait, dans la chambre au-dessus, en train de fermer leurs malles !
Car ils devaient partir le lendemain, s’en aller du pays pour toujours.
Tout de même, il eut le courage de nous faire la classe jusqu’au bout.
Après l’écriture, nous eûmes la leçon d’histoire ; ensuite les petits chantèrent tous ensemble le
BA BE BI BO BU.
Là-bas au fond de la salle, le vieux Hauser avait mis ses lunettes, et, tenant son abécédaire à deux mains, il épelait les lettres avec eux. On voyait qu’il s’appliquait lui aussi; sa voix tremblait
d’émotion, et c’était si drôle de l’entendre, que nous avions tous envie de rire et de pleurer.
Ah !je m’en souviendrai de cette dernière classe…Tout à coup l’horloge de l’église sonna midi, puis l’Angélus.
Au même moment, les trompettes des Prussiens qui revenaient de l’exercice éclatèrent sous nos fenêtres… M. Hamel se leva, tout pâle, dans sa chaire.
Jamais il ne m’avait paru si grand….

« Mes amis, dit-il, mes amis, je… je… »

Mais quelque chose l’étouffait. Il ne pouvait pas achever sa phrase.

Alors il se tourna vers le tableau, prit un morceau de craie et, en appuyant de toutes ses forces, il écrivit aussi gros qu’il put :

« VIVE LA FRANCE ! »

Puis il resta là, la tête appuyée au mur, et, sans parler, avec sa main, il nous faisait signe :

« C’est fini… allez-vous-en. »
 


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 SOURCES :  La Bibliothèque électronique du Québec

ILS L’ONT DIT SUR LE NET

PIERRE : A 86 ans et pour quelques euros avoir « en poche » de quoi retrouver sa bonne humeur…Retrouver du même coup ce qui m’.avait séduit a la première lecture pendant les temps noirs de la dernière guerre….Daudet ! Tu a apaisé jadis angoisses et terreurs…Aujourd’hui le monde est odieux, égoïste, cruel….aprés nous le déluge ? Lisez, relisez Daudet. C’est bon pour le moral !

FRANCK : Quand on pense à Alphonse Daudet , ce sont  » Les Lettres de mon moulin  » et  » Tartarin de Tarascon  » qui viennent immédiatement à l’esprit ; et pourtant……

Cet ouvrage intitulé  » Contes du lundi  » est une pépite.
Construit en 2 parties :

– la 1 ère ( une vingtaine de contes ) est centrée sur diverses situations de la guerre franco-prussienne de 1870 .La détresse des mères qui attendent des nouvelles de leur fils au front / les petites lâchetés de quelques uns profitant de la situation / la désolation des villages de province quittés par une population rurale terrorisée / Les actes héroïques de certains………

– une 2 ième partie plus  » intimiste  » reprend des scènes de la vie quotidienne à Paris et en Province. Les métaphores avec le contexte guerrier sont omniprésentes.

Une quarantaine de contes qui se lisent très rapidement et laissent un doux miel en bouche.
Le style , la richesse du vocabulaire et l’intensité des situations décrites ; Alphonse Daudet est un Maître.
Je vous invite à relire ou découvrir cette œuvre méconnue ; vous serez conquis .

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  – VU ET ENTENDU A LA TÉLÉ


FLONFLON ADORE … LIRE

 

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CONTES : Le miroir

logo mamy raconte aux pitchousALLEZ MAMY…! RACONTE….! est une série pour les petits et les grands enfants..!
Dans la Chouette ma Mamy se transformera, cet automne, en conteuse au bord du feu…. Préparez les buches….. conservez vos braises on va faire griller les châtaignes

Pour les autres ….??
Ben..! Rêvez…..! Vous sentirez très vite les odeurs de la grillade , la chaleur du feu de bois, vous entendrez l’écorce crépiter….. et vous verrez au milieu des flammes…. la fantasmagorie de l’imaginaire…
ça y est..
Vous tenez le soufflet bien en main….?
Oui.. !

AUJOURD’HUI C’EST : Le MIROIR
– Alphonse Daudet –

logo mamy turlututu smallMes chers enfants moi aussi j’avais une grand mère qui, se plaisait à me parler d’histoires qui m’aidaient à mieux me connaitre ou à découvrir le monde ..

je me rappelle du jour où elle m’a raconté :

Le miroir  Cela m’a marquée je m’en rappelle encore

– ALLEZ.. ACTION Mamy..!
Tu la lis .. tu la lis …!!!

– OUI OUI mon petit Jonas …

PAPY va te parler d’abord d’Alphonse Daudet.. celui des lettres de mon moulin et de la chèvre de m Seguin

 

LE CHOURISTE
LE MIROIR
est tiré du recueil des contes du lundi écrit par
Alphonse Daudet
Daudet Contes du lundi Parus en 1873
Les Contes du lundi sont tous écrits en simplicité, finesse, émotion, poésie, vérité du trait sont les qualités maîtresses de ce recueil qui, avec les Lettres de mon moulin, fait d’Alphonse Daudet un des plus célèbres écrivains du xixe siècle
 Alphonse Daudet 1840 – (à 57 ans) Ce nîmois d’origine est un écrivain et auteur de Romans, poésies, contes, nouvelles
Ses Œuvres principales:

Bon Mamy …
On y va ou quoi ?

 

– Voilà…. Voilà…!

Dans le Nord, au bord du Niémen, est arrivée une petite créole de quinze ans, blanche et rose comme une fleur d’amandier.

Elle vient du pays des colibris, c’est le vent de l’amour qui l’apporte… Ceux de son île lui disaient:

– « Ne pars pas, il fait froid sur le continent… L’hiver te fera mourir.»

Mais la petite créole ne croyait pas à l’hiver et ne connaissait le froid que pour avoir
pris des sorbets; puis elle était amoureuse, elle n’avait pas peur de mourir…
Et maintenant la voilà qui débarque là-haut dans les brouillards du Niémen, avec ses éventails, son  hamac, ses moustiquaires et une cage en treillis doré pleine d’oiseaux de son pays.
Quand le vieux père Nord a vu venir cette fleur des îles que le Midi lui envoyait dans un
rayon, son cœur s’est ému de pitié ; et comme il pensait bien que le froid ne ferait qu’une bouchée
de la fillette et de ses colibris, il a vite allumé un gros soleil jaune et s’est habillé d’été pour les
recevoir… La créole s’était trompée ; elle a pris cette chaleur du Nord, brutale et lourde, pour une
chaleur de durée, cette éternelle verdure noire pour de la verdure de printemps, et suspendant

son hamac au fond du parc entre deux sapins, tout le jour elle s’évente, elle se balance.

« Mais il fait très chaud dans le Nord», dit-elle en riant.

Pourtant quelque chose l’inquiète.

Pourquoi, dans cet étrange pays, les maisons n’ont-elles pas de vérandas?
Pourquoi ces murs épais, ces tapis, ces lourdes tentures?
Ces gros poêles en faïence, et ces grands tas de bois qu’on empile dans les cours, et ces peaux de renards bleus, ces manteaux doublés, ces fourrures qui dorment au fond des armoires; à quoi tout cela peut-il servir?
Pauvre petite, elle va le savoir bientôt.
Un matin, en s’éveillant, la petite créole se sent prise d’un grand frisson.
Le soleil a disparu, et du ciel noir et bas, qui semble dans la nuit s’être rapproché de la terre, il tombe par flocons une peluche blanche et silencieuse comme sous les cotonniers…Voilà l’hiver!  voilà l’hiver !
Le vent siffle, les poêles ronflent. Dans leur grande cage en treillis doré, les colibris ne gazouillent plus.Leurs petites ailes bleues, roses, rubis, vert de mer, restent immobiles, et c’est pitié de les voir se serrer les uns contre les autres, engourdis et bouffis par le froid avec leurs becs fins et leurs yeux en tête d’épingle. Là-bas, au fond du parc,le hamac grelotte plein de givre, et les branches des sapins sont en verre filé…

La petite créole a froid ; elle ne veut plus sortir.

Pelotonnée au coin du feu comme un de ses oiseaux, elle passe son temps à regarder la flamme et se fait du soleil avec ses souvenirs.

Dans la grande cheminée lumineuse et brûlante, elle revoit tout son pays : les larges quais pleins
de soleil avec le sucre brun des cannes qui ruisselle, et les grains de maïs flottant dans une
poussière dorée, puis les siestes d’après-midi, les stores clairs, les nattes de paille, puis les soirs
d’étoiles, les mouches enflammées, et des millions de petites ailes qui bourdonnent entre les
fleurs et dans les mailles de tulle des moustiquaires.
Et tandis qu’elle rêve ainsi devant la flamme, les jours d’hiver se succèdent toujours plus
courts, toujours plus noirs. Tous les matins on ramasse un colibri mort dans la cage
; bientôt il n’en reste plus que deux, deux flocons de plumes vertes qui se hérissent l’un contre l’autre dans un coin…
Ce matin-là, la petite créole n’a pas pu se lever.
Comme une balancelle mahonnaise prise dans les glaces du Nord, le froid l’étreint, la
paralyse. Il fait sombre, la pièce est triste. Le grive a mis sur les vitres un épais rideau de soie
mate. La ville semble morte, et, par les rues silencieuses, le chasse-neige à vapeur siffle
lamentablement… Dans son lit, pour se distraire, la créole fait luire les paillettes de son éventail et
passe son temps à se regarder dans les miroirs de son pays, tout frangés de grandes plumes
indiennes.
Toujours plus courts, toujours plus noirs, les jours d’hiver se succèdent. Dans ses courtines de
dentelles, la petite créole languit, se désole. Ce qui l’attriste surtout, c’est que de son lit elle ne
peut pas voir le feu. Il lui semble qu’elle a perdu sa patrie une seconde fois… De temps en temps

elle demande:

– « Est-ce qu’il y a du feu dans la chambre?

– Mais oui, petite, il y en a. La cheminée est tout en flammes. Entends-tu pétiller le bois, et les pommes de pin qui éclatent ?

– Oh ! voyons, voyons. »

Mais elle a eu beau se pencher, la flamme est trop loin d’elle; elle ne peut pas la voir et cela la désespère. Or, un soir qu’elle est là, pensive et pâle, sa tête au bord de l’oreiller et les yeux toujours tournés vers cette flamme invisible, son ami s’approche d’elle, prend un des miroirs

qui sont sur le lit :

– « Tu veux voir le feu, mignonne ?… Eh bien, attends…»

Et, s’agenouillant devant la cheminée, il essaie de lui envoyer avec son miroir un reflet

de la flamme magique:

– «Peux-tu le voir ?

– Non! je ne vois rien.

– Et maintenant?…

– Non! pas encore… »

Puis, tout à coup, recevant en plein visage un jet de lumière qui l’enveloppe :

« Oh! je le vois ! » dit la créole toute joyeuse.
– Et elle meurt en riant avec deux petites flammes au fond des yeux
Alphonse Daudet

 SOURCES :wikipedia –

http://www.livrespourtous.com/e-books/view/Contes-du-lundi.html

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RETRO : C’est une récap des histoires déjà racontées….

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LETTRES DE MON MOULIN : LES VIEUX

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BLOC NOTE LITTÉRAIRE

par Chou Blanc
la poésie inoxydable


DES LETTRES DE MON MOULIN
d’Alphonse DAUDET

LES    VIEUX

FERNANDEL RACONTE …… LES VIEUX.

Coup de
de Louis Fine
Fernandel raconte - les vieux

ILS L’ONT DIT SUR LE NET

 Hitman3820  «  Je n’avais pas réécouté ces histoires depuis 20 ans, elles sont toujours aussi merveilleuses. Fernandel est pour moi le meilleur conteur des lettres de mon moulin. Il a su faire vivre les histoires et les personnages. Vraiment çà n’a pas vieillit. »

Maison en Provence, aquarelle de Paul Cézanne – 1867

POUR LE PAUVRE ÂNE QUI N’AURAIT PAS DU SON –

LE TEXTE D’ALPHONSE DAUDET :  LES VIEUX

Une lettre, père Azan ?

—- Oui, monsieur… ça vient de Paris.

Il était tout fier que ça vînt de Paris, ce brave père Azan… Pas moi. Quelque chose me disait que cette Parisienne de la rue Jean-Jacques, tombant sur ma table à l’’improviste et de si grand matin, allait me faire perdre toute ma journée. Je ne me trompais pas, voyez plutôt :

« Il faut que tu me rendes un service, mon ami. Tu vas fermer ton moulin pour un jour et t’’en aller tout de suite à Eyguières…
Eyguières est un gros bourg à trois ou quatre lieues de chez toi,— une promenade.
En arrivant, tu demanderas le couvent des
Orphelines.
La première maison après le couvent est une maison basse à volets gris avec un jardinet derrière. Tu entreras sans frapper,— la porte est toujours ouverte,— et, en entrant, tu crieras bien fort :

– « Bonjour, braves gens ! Je suis l’ami de Maurice… »

Alors, tu verras deux petits vieux, oh ! mais vieux, vieux, archivieux, te tendre les bras du fond de leurs grands fauteuils, et tu les embrasseras de ma part, avec tout ton coeur, comme s’’ils étaient à toi. Puis vous causerez ; ils te parleront de moi, rien que de moi ; ils te raconteront mille folies que tu écouteras sans rire… Tu ne riras pas, hein ?…
Ce sont mes grands-parents, deux êtres dont je suis toute la vie et qui ne m’’ont pas vu depuis dix ans…. Dix ans, c’’est long ! Mais que veux-tu ? moi, Paris me tient ; eux, c’’est le grand âge….… Ils sont si vieux, s’’ils venaient me voir, ils se casseraient en route.…
Heureusement, tu es là-bas, mon cher meunier, et, en t’’embrassant, les pauvres gens croiront m’’embrasser un peu moi-même… Je leur ai si souvent parlé de nous et de cette bonne amitié

Le diable soit de l’’amitié ! Justement ce matin-là il faisait un temps admirable, mais qui ne valait rien pour courir les routes : trop de mistral et trop de soleil, une vraie journée de Provence.

Quand cette maudite lettre arriva, j’’avais déjà choisi mon cagnard (abri) entre deux roches, et je rêvais de rester là tout le jour, comme un lézard, à boire de la lumière, en écoutant chanter les pins….
Enfin, que voulez-vous faire ?

Je fermais le moulin en maugréant, je mis la clef sous la chatière.
Mon bâton, ma pipe, et me voilà parti.

 

http://www.ateliermagique.com/fr/laurent-laloge-aquarelliste/galerie/fontaine-village-de-provence.htmlJ’’arrivais à Eyguières vers deux heures.
Le village était désert, tout le monde aux champs. Dans les ormes du cours, blancs de poussière, les cigales chantaient comme en pleine Crau. Il y avait bien sur la place de la mairie un âne qui prenait le soleil, un vol de pigeons sur la fontaine de l’’église ; mais personne pour m’’indiquer l’’orphelinat.

Par bonheur une vieille fée m’’apparut tout à coup, accroupie et filant dans l’’encoignure de sa porte ; je lui dis ce que je cherchais ; et comme cette fée était très puissante, elle n’’eut qu’’à lever sa quenouille : aussitôt le couvent des Orphelines se dressa devant moi comme par magie…
C’’était une grande maison maussade et noire, toute fière de montrer au-dessus de son portail en ogive une vieille croix de grès rouge avec un peu de latin autour.

À côté de cette maison, j’’en aperçus une autre plus petite. Des volets gris, le jardin derrière… Je la reconnus tout de suite, et j’’entrai sans frapper.

Je reverrais toute ma vie ce long corridor frais et calme, la muraille peinte en rose, le jardinet qui tremblait, au fond à travers un store de couleur claire, et sur tous les panneaux des fleurs et des violons fanés. Il me semblait que j’’arrivais chez quelque vieux bailli du temps de Sedaine…

Au bout du couloir, sur la gauche, par une porte entr’ouverte on entendait le tic tac d’’une grosse horloge et une voix d’’enfant, mais d’’enfant à l’’école, qui lisait en s’’arrêtant à chaque syllabe : A… lors… saint… I… ré… née… s’é… cria… a… Je… suis… le… fro… ment… du… Seigneur… Il… faut… que… je… sois… mou… lu… par… la… dent… de… ces… a… ni… maux… Je m’’approchais doucement de cette porte et je regardais.

Dans le calme et le demi-jour d’’une petite chambre, un bon vieux à pommettes roses, ridé jusqu’’au bout des doigts, dormait au fond d’’un fauteuil, la bouche ouverte, les mains sur ses genoux. À ses pieds, une fillette habillée de bleu,— grande pèlerine et petit béguin, le costume des orphelines,— lisait la Vie de saint Irénée dans un livre plus gros qu’’elle… Cette lecture miraculeuse avait opéré sur toute la maison. Le vieux dormait dans son fauteuil, les mouches au plafond, les canaris dans leur cage, là-bas sur la fenêtre. La grosse horloge ronflait, tic tac, tic tac. Il n’’y avait d’’éveillé dans toute la chambre qu’’une grande bande de lumière qui tombait droite et blanche entre les volets clos, pleine d’’étincelles vivantes et de valses microscopiques…

Au milieu de l’’assoupissement général, l’’enfant continuait sa lecture d’’un air grave :
Aus… si… tot… deux… lions… se… pré… ci… pi… tè… rent… sur… lui… et… le… dé… vo… rè… rent…
C’’est à ce moment que j’’entrai…s Les lions de saint Irénée se précipitant dans la chambre n’’y auraient pas produit plus de stupeur que moi. Un vrai coup de théâtre ! La petite pousse un cri, le gros livre tombe, les canaris, les mouches se réveillent, la pendule sonne, le vieux se dresse en sursaut, tout effaré, et moi-même, un peu troublé, je m’’arrête sur le seuil en criant bien fort :

—-« Bonjour, braves gens ! je suis l’’ami de Maurice. »

Oh ! alors, si vous l’’aviez vu, le pauvre vieux, si vous l’’aviez vu venir vers moi les bras tendus, m’’embrasser, me serrer les mains, courir égaré dans la chambre, en faisant :

—- « Mon Dieu ! mon Dieu !… »

Toutes les rides de son visage riaient. Il était rouge. Il bégayait :

—- Ah ! monsieur… ah ! monsieur…

Puis il allait vers le fond en appelant :

— – Mamette !

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Une porte qui s’’ouvre, un trot de souris dans le couloir… c’’était Mamette. Rien de joli comme cette petite vieille avec son bonnet à coque, sa robe carmélite, et son mouchoir brodé qu’’elle tenait à la main pour me faire honneur, à l’’ancienne mode… Chose attendrissante ! ils se ressemblaient. Avec un tour et des coques jaunes, il aurait pu s’’appeler Mamette, lui aussi.
Seulement la vraie Mamette avait du beaucoup pleurer dans sa vie, et elle était encore plus ridée que l’’autre. Comme l’’autre aussi, elle avait près d’’elle une enfant de l’’orphelinat, petite garde en pèlerine bleue, qui ne la quittait jamais ; et de voir ces vieillards protégés par ces orphelines, c’’était ce qu’’on peut imaginer de plus touchant.

En entrant, Mamette avait commencé par me faire une grande révérence, mais d’’un mot le vieux lui coupa sa révérence en deux :

— – C’est l’’ami de Maurice…

Aussitôt la voilà qui tremble, qui pleure, perd son mouchoir, qui devient rouge, toute rouge, encore plus rouge que lui… Ces vieux ! ça n’’a qu’’une goutte de sang dans les veines, et à la moindre émotion elle leur saute au visage…

— – Vite, vite, une chaise… dit la vieille à sa petite.

— – Ouvre les volets… crie le vieux à la sienne.

Et, me prenant chacun par une main, ils m’’emmenèrent en trottinant jusqu’à la fenêtre, qu’’on a ouverte toute grande pour mieux me voir. On approche les fauteuils, je m’’installe entre les deux sur un pliant, les petites bleues derrière nous, et l’’interrogatoire commence :

—- Comment va-t-il ? Qu’’est-ce qu’’il fait ? Pourquoi ne vient-il pas ? Est-ce qu’’il est content ?…

Et patati ! et patata ! Comme cela pendant des heures.

Moi, je répondais de mon mieux à toutes leurs questions, donnant sur mon ami les détails que je savais, inventant effrontément ceux que je ne savais pas, me gardant surtout d’’avouer que je n’’avais jamais remarqué si ses fenêtres fermaient bien ou de quelle couleur était le papier de sa chambre.

—- Le papier de sa chambre !… Il est bleu, madame, bleu clair, avec des guirlandes…

— – Vraiment ? faisait la pauvre vieille attendrie ; et elle ajoutait en se tournant vers son mari : C’’est un si brave enfant !

— – Oh ! oui, c’’est un brave enfant ! reprenait l’’autre avec enthousiasme.

Et, tout le temps que je parlais, c’’étaient entre eux des hochements de tête, de petits rires fins, des clignements d’’yeux, des airs entendus, ou bien encore le vieux qui se rapprochait pour me dire :

— – Parlez plus fort… Elle a l’’oreille un peu dure.

Et elle de son côté :

— – Un peu plus haut, je vous prie ! Il n’’entend pas très bien…

Alors j’’élevais la voix ; et tous deux me remerciaient d’’un sourire ; et dans ces sourires fanés qui se penchaient vers moi, cherchant jusqu’’au fond de mes yeux l’’image de leur Maurice, moi, j’’étais tout ému de la retrouver cette image, vague, voilée, presque insaisissable, comme si je voyais mon ami me sourire, très loin, dans un brouillard.


Tout à coup le vieux se dresse sur son fauteuil :

– — Mais j’y pense, Mamette…, il n’a peut-être pas déjeuné !
Et Mamette, effarée, les bras au ciel :
—- Pas déjeuné !… Grand Dieu !
Je croyais qu’il s’’agissait encore de Maurice, et j’’allais répondre que ce brave enfant n’’attendait jamais plus tard que midi pour se mettre à table. Mais non, c’’était bien de moi qu’’on parlait ; et il faut voir quel branle-bas quand j’’avouais que j’’étais encore à jeun :
— – Vite le couvert, petites bleues !

La table au milieu de la chambre, la nappe du dimanche, les assiettes à fleurs. Et ne rions pas tant, s’’il vous plaît ! et dépêchons-nous …Je crois bien qu’’elles se dépêchaient.
À peine le temps de casser trois assiettes le déjeuner se trouva servi.
— – Un bon petit déjeuner ! me disait Mamette en me conduisant à table ; seulement vous serez tout seul… Nous autres, nous avons déjà mangé ce matin
Ces pauvres vieux ! à quelque heure qu’’on les prenne, ils ont toujours mangé le matin. Le bon petit déjeuner de Mamette, c’’était deux doigts de lait, des dattes et une barquette, quelque chose comme un échaudé ; de quoi la nourrir elle et ses canaris au moins pendant huit jours… Et dire qu’’à moi seul je vins à bout de toutes ces provisions ! …Aussi quelle indignation autour de la table ! Comme les petites bleues chuchotaient en se poussant du coude, et là-bas, au fond de leur cage, comme les canaris avaient l’’air de se dire :
– « Oh ! ce monsieur qui mange toute la barquette ! »
Je la mangeai toute, en effet, et presque sans m’’en apercevoir, occupé que j’’étais à regarder autour de moi dans cette chambre claire et paisible où flottait comme une odeur de choses anciennes… Il y avait surtout deux petits lits dont je ne pouvais pas détacher mes yeux.
Ces lits, presque deux berceaux, je me les figurais le matin, au petit jour, quand ils sont encore enfouis sous leurs grands rideaux à franges.
Trois heures sonnent. C’est l’’heure où tous les vieux se réveillent :—
– Tu dors, Mamette ?
— Non, mon ami.— N’’est-ce pas que Maurice est un brave enfant ?—
Oh ! oui c’’est un brave enfant.

Et j’’imaginais comme cela toute une causerie, rien que pour avoir vu ces deux petits lits de vieux, dressés l’’un à côté de l’’autre…

Pendant ce temps, un drame terrible se passait à l’’autre bout de la chambre, devant l’’armoire.
Il s’4agissait d’4atteindre là-haut, sur le dernier rayon, certain bocal de cerises à l’eau-de-vie qui attendait Maurice depuis dix ans et dont on voulait me faire l’’ouverture.
Malgré les supplications de Mamette, le vieux avait tenu à aller chercher ses cerises lui-même ; et, monté sur une chaise au grand effroi de sa femme, il essayait d’’arriver là-haut…
Vous voyez le tableau d’’ici, le vieux qui tremble et qui se hisse, les petites bleues cramponnées à sa chaise, Mamette derrière lui haletante, les bras tendus, et sur tout cela un léger parfum de bergamote qui s’’exhale de l’’armoire ouverte et des grandes piles de linge roux…

C’’était charmant…!

Enfin, après bien des efforts, on parvint à le tirer de l’’armoire, ce fameux bocal, et avec lui une vieille timbale d’’argent toute bosselée, la timbale de Maurice quand il était petit. On me la remplit de cerises jusqu’’au bord ; Maurice les aimait tant, les cerises !

Et tout en me servant, le vieux me disait à l’’oreille d’un air de gourmandise :

— – Vous êtes bien heureux, vous, de pouvoir en manger !… C’’est ma femme qui les a faites
… Vous allez goûter quelque chose de bon.

Hélas sa femme les avait faites, mais elle avait oublié de les sucrer. Que voulez-vous ? on devient distrait en vieillissant. Elles étaient atroces, vos cerises, ma pauvre Mamette… Mais cela ne m’’empêcha pas de les manger jusqu’’au bout, sans sourciller.

Le repas terminé, je me levai pour prendre congé de mes hôtes. Ils auraient bien voulu me garder encore un peu pour causer du brave enfant, mais le jour baissait, le moulin était loin, il fallait partir.
Le vieux s’’était levé en même temps que moi.

—– Mamette, mon habit !…

Je veux le conduire jusqu’à la place.
Bien sûr qu’’au fond d’’elle-même Mamette trouvait qu’’il faisait déjà un peu frais pour me conduire jusqu’’à la place ; mais elle n’en laissa rien paraître.
Seulement, pendant qu’’elle l’’aidait à passer les manches de son habit, un bel habit tabac d’’Espagne à boutons de nacre, j’’entendais la chère créature qui lui disait doucement :

— – Tu ne rentreras pas trop tard, n’’est-ce pas ?

Et lui, d’un petit air malin :

—- Hé ! hé !… je ne sais pas… peut-être…?

Là-dessus, ils se regardaient en riant, et les petites bleues riaient de les voir rire, et dans leur coin les canaris riaient aussi à leur manière…
Entre nous, je crois que l’’odeur des cerises les avait tous un peu grisés.…

 

La nuit tombait, quand nous sortîmes, le grand-père et moi.
La petite bleue nous suivait de loin pour le ramener ; mais lui ne la voyait pas, et il était tout fier de marcher à mon bras, comme un homme.
Mamette, rayonnante, voyait cela du pas de sa porte, et elle avait en nous regardant de jolis hochements de tête qui semblaient dire :

« Tout de même, mon pauvre homme !… il marche encore. »

 

Alphonse Daudet

 

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